
En coulisse
Testostérone : traitement à la mode ou vrai remède pour les hommes ?
par Anna Sandner
La testostérone suscite le débat. Énergie et libido boostées, ou encore effet antidépresseur : de nombreux espoirs reposent sur cette hormone. Autotests, engouement et efficacité réelle : faisons le point avec le Dr Andreas Walther de l’Université de Zurich, expert sur le sujet.
Les discussions autour de la testostérone sont souvent animées, comme le montrent notamment les commentaires sous mon dernier article traitant du traitement à la testostérone. Entre les inquiétudes liées à la baisse des taux d’hormones, les espoirs de regain d’énergie et le scepticisme sur la publicité pour les médicaments, les avis sont partagés. Une chose est sûre : il n’y a aucune autre hormone qui suscite autant de désirs, de promesses publicitaires et de légendes médicales que celle dite de la « virilité ».
Mais les spécialistes pensent-ils vraiment que le manque de testostérone rend dépressif ? Un traitement hormonal peut-il apporter autant que le suggèrent certains influenceurs fitness et fabricants ? Et quels sont les risques ? Pour y voir plus clair, je me suis entretenue avec le Dr Andreas Walther, psychothérapeute et expert en hormones, qui nous explique à quel point le monde scientifique est divisé et pourquoi il vaut mieux éviter les expériences personnelles hâtives.
Dr Andreas Walther : Ces dernières années, l’industrie de la beauté et de la santé s’est rendu compte que les hommes constituaient un marché intéressant, notamment grâce à la testostérone. Il est d’ailleurs faux de penser que seuls les hommes ont de la testostérone. Les femmes aussi en ont, mais en quantité nettement plus faible (10 à 20 fois moins que les hommes).
Des études sur les animaux ont montré que lorsqu’on injecte de la testostérone, le comportement sexuel change. C’est un cliché, mais cela se vérifie également chez les humains avec une augmentation de la libido. En tant qu’hormone anabolique (constructrice), la testostérone améliore également la composition du corps. Contrairement au cortisol, l’hormone catabolique (dégradante) du stress, elle favorise le développement musculaire et la combustion des graisses. En revanche, il n’est pas prouvé que la testostérone stimule la fonction cognitive ou la mémoire. Cette idée est plutôt un mythe et n’a jamais été étayée par des études cliniques.
La testostérone peut avoir un effet à la fois direct et indirect sur l’humeur. Si j’ai une libido accrue et que j’ai des relations sexuelles, cela améliorera mon humeur. Ou si je fais plus d’exercice grâce à plus de testostérone, cela aura également des effets positifs sur mon état d’esprit.
Des études menées sur des souris nous ont aussi appris que la testostérone favorise la survie des cellules neuronales. En tant qu’hormone anabolique, elle stimule la création de nouvelles connexions dans le cerveau, ce qui peut être utile en cas de dépression. Lorsqu’un homme souffrant de dépression forme de nouvelles connexions neuronales, elles survivront mieux grâce à un taux de testostérone élevé.
La testostérone inhibe également le stress. Lorsqu’elle est présente en grande quantité, la sécrétion d’hormones de stress est réduite et les processus inflammatoires sont atténués. La testostérone active en outre le système de la sérotonine, sur lequel se basent également les antidépresseurs modernes.
Cette question a fait l’objet d’une méta-analyse (article en anglais) portant sur 1890 hommes. Et oui, il semble que cela ait un effet positif sur la dépression. Un effet global a été constaté, même si les résultats n’étaient pas mirobolants. Il est comparable aux effets des antidépresseurs, à la différence que ces derniers bénéficient de preuves nettement plus solides, fruits d’études portant sur plusieurs centaines de milliers de sujets.
Ce qui est intéressant, c’est que l’effet de la testostérone sur les symptômes dépressifs n’est pas lié aux taux de testostérone mesurés chez les patients. Les hommes sans hypogonadisme (déficit en testostérone) en ont donc également bénéficié.
Les résultats sont contradictoires. Une de mes collègues a réalisé une revue systématique (article en anglais) qui a montré que les participants déprimés avaient des niveaux de testostérone plus bas que les autres. Nous n’avons pas pu confirmer cette tendance lors de notre essai clinique (article en anglais) sur 72 hommes dépressifs et une centaine de participants non dépressifs.
Il s’agissait d’hommes jeunes, âgés de 25 à 50 ans, présentant une première dépression sans autre maladie mentale ou physique. Nous n’avons pas constaté que les participants déprimés avaient des niveaux de testostérone plus bas, certains avaient même des taux plus élevés que d’autres participants non dépressifs. Nous n’avons pas trouvé d’hommes souffrant d’hypogonadisme (déficit en testostérone) parmi les participants dépressifs.
Je me suis également posé la question. Le problème avec cette histoire d’hormones, c’est que :
Une fois que l’on commence à faire des expériences avec l’équilibre hormonal, celui-ci peut facilement être perturbé.
Si je viens constamment apporter de la testostérone à mon corps, il va se dire qu’il en a assez et qu’il n’a plus besoin d’en produire. Ma capacité à long terme à sécréter moi-même de la testostérone peut ensuite être inhibée au point de devenir dépendant des suppléments.
C’est pourquoi je déconseille à tous les hommes de prendre de la testostérone s’ils ont des valeurs normales. Cela n’est absolument pas utile.
Il existe en outre d’autres risques. Par exemple, l’administration de testostérone peut favoriser la croissance de cellules cancéreuses en cas de cancer de la prostate non diagnostiqué.
Il y a plusieurs raisons à cela. Premièrement, l’industrie pharmaceutique n’est pas intéressée par la testostérone, car ce n’est pas une substance brevetée. On ne peut rien gagner avec, car elle peut être produite à bas prix. Deuxièmement, il faut garder à l’esprit que la testostérone n’a pas vraiment fait ses preuves en tant que traitement contre la dépression. Il manque de grandes études bien conçues. Et troisièmement, il faudrait que chaque patient dépressif fasse une prise de sang pour mesurer son taux de testostérone avant de commencer un traitement, et cela serait trop coûteux.
Quand on parle de valeurs, il faut être très précis. Un taux au-dessus de 20 nanomoles par litre est considéré comme normal. Ce n’est qu’à partir de 15, 14, 13 nanomoles par litre que l’on se rapproche de la valeur limite de 12,1 nanomoles par litre, qui se base sur de bonnes études cliniques. À noter également que l’on ne mesure pas seulement la testostérone, mais aussi les récepteurs des androgènes (protéines liant les hormones mâles), et notamment leur sensibilité. Parfois, il vaut mieux avoir un taux de testostérone plus bas et des récepteurs très sensibles.
Je déconseille vivement d’avoir recours à ce genre de traitement sans être accompagné par un médecin.
Il s’agit de systèmes complexes. Et lorsque l’on commande des préparations sur Internet, on ne sait pas toujours ce qu’elles contiennent.
Nous savons déjà que la testostérone peut influencer l’humeur et la motivation et qu’elle agit sur le système de stress et sur la sérotonine. Tous ces facteurs jouent un rôle dans la dépression. Notre étude et d’autres montrent un réel effet positif sur les symptômes dépressifs, qui peut d’ailleurs être observé indépendamment du taux de testostérone du patient. Cependant, si les effets existent, ils ne sont pas excessifs et, surtout, ils sont encore trop peu étayés par de grandes études. Contrairement aux antidépresseurs, la testostérone n’a pas été testée sur assez de personnes et il reste trop de questions en suspens, par exemple sur les effets secondaires ou les conséquences à long terme.
Tant qu’il n’y aura pas de recherche nettement plus solide, c’est-à-dire de véritables grandes études contrôlées avec différents groupes de patients, un traitement complet à base de testostérone en cas de dépression restera un vœu pieux. Il s’agit cependant d’un domaine fascinant et plein de potentiel où la science n’en est qu’à ses débuts.
Rédactrice scientifique et biologiste. J'aime les animaux et je suis fascinée par les plantes, leurs capacités et tout ce que l'on peut faire avec et à partir d'elles. C'est pourquoi mon endroit préféré est toujours à l'extérieur - quelque part dans la nature, volontiers dans mon jardin sauvage.