
Point de vue
Pourquoi je préfère voyager en train
par Simon Balissat
Des milliers de kilomètres sont derrière moi. Ce qu’il reste de l’été, c’est une dose d’humilité : lors des voyages en voiture avec des enfants, je remercie la modernité et me rappelle des trajets d’antan.
Ma mémoire est une passoire. Et heureusement ! Elle filtre et oublie les moments ennuyeux pour garder seulement les souvenirs précieux. Quand je pense aux interminables heures passées en voiture sur la route des vacances quand j’étais enfant, un sentiment de départ et d’aventure vibre en moi. La plupart du temps, nous partions au milieu de la nuit. Des premières heures dans la voiture me reste un rêve flou fait de feux arrière qui dansent, de bosses et de panneaux routiers qui défilent, sur lesquels on pouvait lire Brescia ou Darmstadt.
Je sais maintenant à quel point un road trip pendant les vacances d’été peut être stressant pour les parents. Je suis parti seul en Espagne avec deux enfants en bas âge, à quatre avec des enfants un peu plus grands en France et en Italie, j’ai reçu des coups de pied rageurs dans le dos et les disputes me faisaient désespérer. Tous les ingrédients étaient réunis pour perdre patience et avoir envie de mordre très fort dans le volant. Pourtant, je ne veux pas voyager autrement. Bon, peut-être dans une autre voiture, mais avec les mêmes personnes. Je ne les changerais pour rien au monde. Bien que je comprenne le penchant de mon collègue Simon Balissat pour les voyages en train en tant que touriste solo, lorsqu’on voyage en famille, rien n’arrive à la cheville de notre propre pot de yaourt.
Le premier argument est le prix, si l’on veut rentabiliser les frais courants d’une voiture familiale sur l’année. Et cela ne s’arrête pas au confort. Lors des voyages en train, il arrive trop souvent que le train n’arrive pas. Ou que l’allée centrale devienne une zone de collision pour les passagers en surnombre, dont les enfants leur arrivent tout au plus à hauteur des aisselles. Il est très rare que les offres de tarification dynamique soient intéressantes pour quatre personnes ou plus. Il en va de même pour les voyages en avion, qui se transforment en épreuve de patience interminable.
Alors que je me souviens de mon premier vol avec un sentiment de liberté, pas mal de place pour les jambes, peu de files d’attente, et une visite du cockpit pour finir en beauté, aujourd’hui, on ne peut plus rien faire : assis, ceinture, pas de liquides, check du bagage cabine, check du bagage en soute, check du... Bref. Coincé et saoulé, on attend l’arrivée avec impatience, pour attendre à nouveau : les bagages au tapis roulant puis la voiture de location au parking, où le gentil loueur se fait payer à prix d’or les sièges enfant. Au lieu d’être autonome, ce type de voyage donne l’impression d’être à la merci des autres.
En voiture, c’est différent : deux pleins d’essence ne suffisent pas pour aller jusqu’à la mer et on se retrouve un peu les uns sur les autres dans un espace relativement restreint. Au moins, notre microcosme familial ne pourra pas énerver tout un compartiment de train. Il faudra cependant réussir à se supporter... Les émotions peuvent rapidement monter et la colère s’évaporer lentement. Personne ne peut s’échapper, à part dans ses pensées. Tout cela peut être épuisant. Tout comme les travaux, les embouteillages et les péages.
Mais cet été, après avoir parcouru plusieurs milliers de kilomètres sur les autoroutes européennes, j’ai décidé d’adopter une vision optimiste, et ce, même s’il y a quelques semaines encore, la perspective de passer des heures sur la route me faisait mal au ventre. Entre Zurich et l’Atlantique, sur les routes de France, d’Allemagne et des Pays-Bas, j’ai eu tout le temps de changer d’avis. Les vacances en famille en voiture sont plus que géniales. Elles se sont même améliorées avec le temps. Et ce n’est pas seulement dû à l’âge des enfants. Aucun autre mode de voyage n’a gagné autant en confort grâce aux progrès technologiques.
Tout commence par la grande question de l’heure d’arrivée. Voyager, c’est être en route, mais plus l’équipage est jeune, plus il est important de connaître précisément le moment de la fin du voyage. L’envie d’arriver grandit. « Quand est-ce qu’on arriiiiiiive ??? » était la question standard agaçante posée par des générations d’enfants, et autrefois, nous devions nous contenter de la réponse standard agacée des parents « bientôt ! ». Elle n’est plus d’actualité depuis qu’un GPS trône au milieu du tableau de bord, calculant de manière infaillible l’heure d’arrivée prévue.
L’ère des petits mensonges pour remonter le moral touche ainsi à sa fin. Surtout lorsque l’heure d’arrivée prévue passe soudainement de 17h54 à 18h48, il faut alors beaucoup d’assurance et de talent d’acteur pour annoncer de manière crédible qu’un « autre itinéraire » sera bien mieux, ou que « les embouteillages vont se résorber ». Dès l’entrée à l’école, les enfants savent assez rapidement à quoi s’attendre dans ces cas-là. Et c’est tant mieux.
Rares sont ceux qui roulent encore en se retrouvant soudainement pris au dépourvu dans un embouteillage monstre, car toutes les radios sont désormais interrompues toutes les 20 minutes par des informations routières beaucoup trop fortes accompagnées d’un « Chhhhhhhut ! » paternel. Aujourd’hui, nous pouvons généralement choisir à l’avance à quelle sauce nous allons nous faire manger, et pouvons nous adapter selon les changements. Faire une pause ? Faire un détour ? Prendre son mal en patience et rester sur cette route ? En règle générale, nous acceptons l’embouteillage avec résignation si le GPS ne connaît pas d’itinéraire plus rapide. Autrefois, seuls l’avion et le train offraient une telle certitude. Cette information vaut de l’or. C’est pourquoi nous l’utilisons presque tous, malgré quelques petits inconvénients.
Le fait de savoir que la situation ne peut pas être améliorée détend finalement énormément. Tout comme un climat agréable.
« Ne faites pas les difficiles », dis-je volontiers lorsque les enfants se plaignent une fois de plus de la température dans la voiture. Oui, la climatisation met un certain temps à rendre l’habitacle agréable, mais elle a au moins le mérite d’exister. Même le modèle le plus basique refroidit l’intérieur de la voiture de manière acceptable en quelques minutes.
Autrefois, les voitures se transformaient en fours à chaleur tournante les jours de canicules. Après dix heures de cuisson à feu doux, même les esprits les plus calmes finissaient par bouillonner et à envier les voyageurs aériens. La jet set flottait bien au frais au-dessus des nuages vers des destinations exotiques, tandis que les vacanciers en voiture rôtissaient sur le Brenner ou regardaient le Gothard sans rien pouvoir faire.
Entre-temps, les turbulences sont devenues de plus en plus fréquentes (page en allemand) et on ne fait plus vraiment attention à la météo pour planifier son départ. On regarde éventuellement la météo sur le lieu de destination. Autrefois, nous pensions au jour du voyage et espérions une température maximale de 24 degrés et un ciel nuageux. Car sous un soleil de plomb, même un ventilateur à main, dont la batterie était immanquablement à plat au moment où on en avait vraiment besoin, ne servait à rien.
Il est toutefois regrettable que la climatisation ait fait disparaître le caractère festif des embouteillages. Avant, on baissait les vitres et on ouvrait les portes, on discutait, on échangeait quelques mots encourageants. Aujourd’hui, chaque équipage souffre seul. Conseil de voyage : si vous voulez encore vivre une véritable canicule, le mieux est de faire la queue pendant des heures devant un ferry.
Alors qu’à l’aéroport, vous devez souvent fournir vos empreintes digitales, déclarer que vous n’avez pas l’intention d’assassiner le président et renoncer à votre dignité dans le terminal, les contrôles aux frontières terrestres en Europe relèvent aujourd’hui plutôt du mythe que de la réalité. Quand une frontière nationale apparaît à l’horizon, je baisse quand même le volume de la radio et je me tiens droit. Je n’arrive pas à me défaire de cette habitude, car autrefois, c’était un moment chargé de tension.
Pour les adultes, cela signifiait : sortir les passeports, prendre un air naïf et espérer que tout se passe bien. Pour les enfants : au minimum arrêter de se chamailler, et au mieux avoir un comportement exemplaire. Faire simplement ce que les parents appellent « se ressaisir ». Avec en plus la tâche supplémentaire de faire semblant de dormir le soir ou le matin et de baver de manière si pitoyable qu’aucun garde-frontière, aussi sévère soit-il, ne voudrait perturber ce sommeil profond.
Même si la tendance est aujourd’hui à nouveau à davantage de contrôles, rares sont les postes frontaliers qui retiennent encore les voyageurs pendant des heures, avec des douaniers zélés qui voudraient non seulement voir leur passeport, mais aussi sortir le dernier maillot de bain de leur valise. J’apprécie toujours cette liberté lorsque la France devient l’Espagne ou l’Autriche l’Italie sans complication. Avec la possibilité de bifurquer sur des routes de campagne, de prendre un café dans le village suivant ou de faire le plein de provisions dans le premier supermarché venu. Un petit détour apporte de la variété et ne fait plus transpirer personne.
La place avant passager est traditionnellement réservée au responsable du divertissement. Cette personne est alors chargée d’organiser des petits jeux avec les enfants, de trouver un volume sonore acceptable, de distribuer des boissons et des en-cas. Fouiller, faire des miettes, faire du bruit... Bref, tout ce qui agace les autres passagers dans le train ou l’avion, et qui peut être fait et discuté sans problème dans la voiture, et sans craindre de distraire celui ou celle qui conduit. Car autrefois, le ou la « copilote » faisait également office de GPS, et il était rare que l’instruction « tourner à droite dans 500 mètres » soit donnée avec autant d’assurance et de rapidité que celle de donner le casse-croûte !
À la place, une épaisse pile de cartes routières sur lesquelles l’itinéraire prévu était indiqué se trouvait dans la boîte à gants. De petites erreurs à l’échelle 1:800 000 ont déjà provoqué de grandes disputes conjugales au niveau des échangeurs d’autoroute ou sur les routes de campagne françaises. Toutes celles et ceux qui ne connaissent pas la pression de devoir foncer inexorablement, carte sur les genoux, vers une décision qui déterminera l’humeur de tout le monde les prochaines heures, n’a jamais vécu à l’âge de pierre numérique.
Bien sûr, on peut parfois regretter ce bon vieux temps. Voyager était un travail d’équipe, cela procurait régulièrement des moments hauts en couleur et permettait aux enfants de découvrir une autre facette de leurs parents, d’ordinaire si souverains. Mais la plupart apprécient sans doute de ne pas avoir de programme et d’avoir plus de temps pour se détendre. Quand tout le monde dort et qu’un seul des adultes veille, alors c’est mission réussie !
Quand je conduis, j’adore cette sensation quand tout le monde dort. Je jette sans cesse un œil dans le rétroviseur dès qu’un calme suspect s’installe derrière moi. La plupart du temps, je sens quand le moment est venu et que plus personne ne lit, quand les feux arrière commencent à danser pour les autres et que les paupières se ferment lentement. C’est une petite preuve de confiance qui crée une atmosphère très particulière, qui ne peut naître que dans une voiture. Une bonne énergie qui me tient éveillé, m’exhorte et me détend à la fois. Depuis que j’ai installé des appuie-tête latéraux à l’arrière, je peux même voir dans le rétroviseur des têtes à peu près droites au lieu d’enfants affalés. Cela me détend encore un peu plus.
Rien ne vaut un lit, mais voyager dans un environnement climatisé et se laisser bercer par des sons apaisants pour rejoindre le pays des rêves est très agréable aussi. J’admire les gens qui peuvent s’endormir en public à tout moment. Personnellement, je ne peux pas. Et à vrai dire, je n’en ai pas vraiment envie non plus. Me retrouver sur l’épaule de mon voisin dans le siège central de l’avion ou sursauter dans le train à cause d’un de mes ronflements, très peu pour moi. Dans le pire des cas, non seulement mon estime de moi-même s’envole, mais mes bagages aussi. Si je dois dormir en voyage, alors ce sera dans la voiture familiale. Au frais, bien calé et protégé. Même éveillé, il n’y a pratiquement rien qui puisse me manquer.
Honnêtement, quand on est enfant, ce qui est génial lors des voyages en avion, c’est surtout qu’après le décollage, on a un écran et rien de mieux à faire que de le fixer jusqu’à l’arrivée. Avant, tout le monde regardait la même chose sur un petit écran à l’image pixelisée, maintenant, chacun a son propre écran directement intégré au siège, avec un choix considérable de films, musiques, jeux, etc. Aujourd’hui, la voiture est le plus grand centre multimédia. Alors que sur certaines lignes de train, un petit téléchargement s’étire comme une file d’attente à la poste un lundi matin, sur l’autoroute, les données circulent généralement comme sur un boulevard désert. De la musique, des podcasts, des séries et des films pour tous les goûts et toutes les occasions sont toujours à portée de main.
Quand j’entends « Je ne sais pas quoi écouter » encore aujourd’hui en 2025, cela me fait doucement sourire. Bien sûr, notre série audio préférée ne produit pas forcément un nouvel épisode chaque semaine, mais il y en a des milliers d’autres à découvrir. Je raconte alors à mes enfants qu’avant, tous nos trésors audio étaient rangés dans une petite valise. De temps en temps, on insérait une cassette et on l’écoutait jusqu’à ce qu’un « Biiiiiiip » retentissant interrompe le programme radio pour une durée indéterminée, au grand dam de nos parents. Ce n’est qu’avec l’arrivée du Walkman que l’on a pu se brancher Pomme d’Api ou Petit Ours brun directement dans les oreilles pour épargner celles des autres covoitureurs.
J’avoue qu’aujourd’hui, je suis parfois très content que chacun puisse écouter ou regarder son propre programme. Ces pauses font du bien quand on passe dix heures ou plus ensemble. Mais c’est encore plus agréable de découvrir ensemble des contenus intéressants et d’en discuter ensuite. Par exemple avec SRF Kids Reporter:in ou bien CheckPod (en allemand). C’est la diversité qui fait la richesse, et lorsque les enfants sont dans leur monde, les parents peuvent eux aussi se plonger dans des livres audio ou des podcasts de plusieurs heures qui font passer le temps à toute vitesse.
Comme la plupart des parents, je me rends particulièrement compte que le temps passe vite pendant les vacances. Le soleil se reflète sur les vagues, et les événements des derniers mois dans mon esprit. Je réalise tout ce qu’il s’est passé au sein de la famille, qui a accompli quoi et qui n’a peut-être pas toujours eu un quotidien facile. Mon regard s’adoucit, la frustration s’estompe et la joie prend le pas sur les pensées sombres.
Arriver en voiture, c’est vraiment être arrivé. On coupe le moteur, les vacances commencent. Une famille, seule sur quatre mètres carrés, arrivée ensemble à destination. Ce moment est si bon qu’il ne pourrait pas s’améliorer au fil des années. Il est d’autant plus précieux qu’il contient de plus en plus de moments de vie partagés.
Les impressions récentes se mêlent aux vieilles histoires, tandis que les difficultés du voyage s’estompent peu à peu. Ce qui ressort immédiatement, c’est un sentiment de soulagement et une certaine humilité, car, pour cette fois encore, tout s’est bien passé. Parce que les pneus crevés, les ambulances et les feux de détresse sur les bandes d’arrêt d’urgence ne concernaient que les autres. Hier, le voyage était encore à faire, alors forcément aujourd’hui, tout va mieux. Le temps transformera le reste en souvenirs dorés.
Écrivain amateur et père de deux enfants, j’aime être en mouvement et avancer en équilibre sur le chemin sinueux de la vie de famille. Je jongle avec plusieurs balles et il m’arrive parfois d’en faire tomber une. Il peut s’agir d’une balle, ou d’une remarque. Ou des deux.