La virginité
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La virginité

Peut-on savoir si une femme a déjà eu des rapports sexuels rien qu’en l’examinant ? « Non », nous explique Dania Schiftan, sexologue. Nous nous sommes entretenues sur l’importance absurde accordée à la virginité des femmes et sur le mythe de l’hymen.

La vie sexuelle des femmes ne regarde qu’elles. Et pourtant, nombre d'entre elles subissent encore une pression face à cette thématique. La sexologue et psychothérapeute Dania Schiftan explique comment le concept de la « virginité » féminine est encore instrumentalisé aujourd’hui, quelles conséquences dévastatrices il a pour les femmes concernées, et comment elles tentent de gérer la situation.

Dania, qu'est-ce qu’une femme vierge ?
Dania Schiftan : Auparavant, on utilisait ce terme pour désigner les femmes qui n’étaient pas mariées. À l’époque, on partait du principe qu’elles n'avaient jamais fait l’amour. Aujourd’hui, « vierge » désigne dans le langage courant une personne, tous genres confondus, qui n’a jamais eu de relations sexuelles. Chez les femmes, on parle souvent d’innocence ou de pureté.

Tout ça semble dépassé.
Et c’est bel et bien le cas. De toute manière, la virginité féminine est un concept culturel qui n’est fondé sur aucune preuve médicale. Il est né de la volonté de l’Église et de la société patriarcale de contrôler la sexualité des femmes. La répression de l’autodétermination des femmes et des jeunes filles en ce qui concerne leur vie sexuelle est malheureusement encore bien ancrée dans la société. On la trouve dans presque toutes les religions.

Ce concept a-t-il un fondement médical ?
Non. D’un point de vue anatomique, on ne peut pas démontrer qu’une femme est vierge. Pourtant, la virginité est souvent associée à l’hymen, qui permettrait de vérifier si une femme a déjà eu des relations sexuelles ou non.

Quel problème pose l’hymen ?
On part non seulement du principe qu’il s’agit d’une petite peau, mais aussi que seules les femmes vierges en ont une, or c’est complètement faux. L’hymen n'est pas une membrane qui fermerait l’entrée du vagin comme du film alimentaire.

Qu’est-ce alors ?
Visualisez plutôt l’hymen comme une fine couronne de tissu qui n’a aucune utilité particulière, un peu comme un mince chouchou pour les cheveux. L’ouverture de l’hymen est généralement élastique et laisse passer un tampon ou un pénis, par exemple. Sans cela, les femmes ne pourraient pas avoir leur règle. On ne peut donc pas prouver en observant l’hymen qu’une femme a eu, ou non, des relations sexuelles.

L’activité sexuelle n’a rien à voir avec une membrane. Si l’hymen ne se déchire pas, pourquoi certaines femmes saignent-elles lors de leur premier rapport ?
Seule la moitié des femmes saigne la première fois. Contrairement à la croyance populaire, l’hymen ne se déchire que dans 30 % des cas, et il ne disparaît jamais. Les saignements peuvent avoir diverses origines, comme de petites déchirures de la paroi vaginale dues à un manque de lubrification.

La virginité n’est donc pas une caractéristique physique.
Exactement. On accorde à l’hymen une signification complètement fausse ; on perpétue un mythe dangereux qui freine l’atteinte de l’égalité des droits et exerce une pression sur les femmes.

Quelles conséquences a un tel moyen de pression sur les femmes ?
La virginité a encore une valeur prépondérante dans de nombreuses régions du monde, au sens propre comme au sens figuré. Cette sacrosainte virginité se traduit par exemple par des dots élevées et encourage les mariages forcés et les mariages d’enfants. Encore récemment, l’armée indonésienne pratiquait des examens qui consistaient à insérer deux doigts dans le vagin des recrues pour vérifier qu’elles étaient bien vierges. C’est totalement absurde ! On empêche les femmes d’explorer leur sexualité, de se découvrir et de profiter pleinement de la vie. Beaucoup de femmes n’osent pas utiliser des tampons, des vibromasseurs, voire simplement insérer un doigt dans leur vagin, de peur d’endommager irrémédiablement leur hymen. Et ne parlons même pas des mesures drastiques auxquelles certaines sont contraintes de faire appel pour soi-disant prouver leur virginité.

C’est-à-dire ?
En Inde, les femmes utilisent des capsules de sang qui s’ouvrent pendant le rapport et laissent couler le liquide sur les draps. En Suisse, certaines musulmanes subissent une opération de reconstruction de l’hymen, qu’on appelle hyménoplastie.

Comment peut-on reconstruire quelque chose qui n’est pas détruit pendant les relations sexuelles ?
La méthode qu’on appelle aussi « procédure de revirginisation » consiste à rétrécir l’ouverture de l’hymen de manière à ce qu’elle se déchire pendant le premier rapport sexuel. Ce n’est donc pas réellement une reconstruction, mais plutôt une construction tout court.

En revanche, personne ne semble se soucier de la virginité des hommes...
Pour les hommes, c'est l’inverse : s’ils n’ont encore jamais fait l’amour, ils sont traités de puceaux ou de tapettes. Nous les femmes sommes considérées comme pures, immaculées. Mais si nous avons le malheur d’avoir plusieurs partenaires, on nous traite de putes, de salopes, de filles faciles, et j’en passe. Les hommes, eux, sont des dragueurs ou des bad boys.

On dirait que les hommes subissent eux aussi une certaine pression.
Passé un certain âge, beaucoup d’hommes se sentent nuls ou ont honte de n’avoir encore jamais eu de relations sexuelles. Certains envisagent alors d’avoir recours à des services tarifés, pour se sentir enfin appartenir pleinement à la gent masculine.

Quand j’étais adolescente, mes princesses Disney préférées portaient une « purity ring », une bague de pureté, pour leur donner bonne image. Dans la religion chrétienne, cet anneau témoignait auparavant d’une abstinence sexuelle jusqu’au mariage. Les choses ont changé depuis. Selon vous, quelles sont la signification et la symbolique de l’« innocence » sexuelle dans notre société occidentale actuelle ?
Des expressions encore très courantes en disent long sur la société actuelle. Prenons le terme « innocence ». Il s’oppose en fait à la culpabilité, associée à la moralité sexuelle chrétienne.

Oh la la, je n’en avais jamais pris conscience !
Le sexe est un aspect de la vie sale, obscène, honteux, qui n’a sa place qu’au sein d’une relation stable, avant laquelle on devrait se « préserver » selon l’idée chrétienne que « le véritable amour sait attendre ». Et n’oublions pas que la robe blanche des mariées est un symbole de pureté. L’anneau de pureté ou de virginité sert aussi à montrer qu’on ne souhaite avoir des relations sexuelles qu'avec l’homme ou la femme de sa vie. Même si nous sommes bien plus libres et ouverts qu’auparavant, ces valeurs désuètes sont encore bien ancrées dans nos mentalités, et elles sont transmises de génération en génération.

Dania Shiftan travaille depuis 15 ans comme sexologue et psychothérapeute dans son cabinet à Zurich. Elle travaille également en tant que psychologue pour Parship. Vous trouverez plus d’informations sur elle et son travail dans l’interview que j’ai menée avec elle :

  • Guide

    En visite chez la sexologue

    par Natalie Hemengül

Les autres articles de la série se trouvent ici :

  • Guide

    Tout sur la sexualité

    par Natalie Hemengül

Image d’en-tête : cottonbro via Pexels

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En tant que fan de Disney je vois toujours la vie en rose, je vénère les séries des années 90 et les sirènes font partie de ma religion. Quand je ne danse pas sous une pluie de paillettes, on me trouve à des soirées pyjama ou devant ma coiffeuse. PS Le lard est un de mes aliments favoris. 


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