
Critique
"Ne Zha 2" : un colosse chinois en marche
par Luca Fontana
James Gunn était censé donner un nouveau souffle aux films de super-héros, mais son « Superman » reste un peu trop gentillet. Pas d’audace ni de vision, mais un bon divertissement malgré un réalisateur beaucoup trop sur la retenue pour ce héros majeur.
Avertissement : cette critique de film ne contient pas de spoilers. Vous n’en apprendrez pas plus ici que ce que l’on sait déjà et que l’on peut voir dans les bandes-annonces. Superman est sorti le 10 juillet en salles.
Je voulais un film qui dépote, qui m’embarque, me surprenne, m’émeuve... ou au moins qui m’énerve. Je voulais qu’il génère autre chose qu’un haussement d’épaules.
Après tout, James Gunn n’est pas n’importe qui. Il a su donner à un raton laveur parlant plus de profondeur que bon nombre de drames oscarisés. Peacemaker est l’une des séries de super-héros les plus mordantes, osées et pleines de vulnérabilité qui soient. Grâce à lui, l’univers DC pourrait renaître de ses cendres avec Superman.
Ce lancement n’a rien d’un nouveau départ et tout d’un compromis, comme si Gunn avait coupé ses propres ailes. Ironique pour un film sur un homme qui peut voler.
Superman est bien plus qu’un super-héros, c’est une idée, un archétype, la boussole morale de tout un genre. Si Batman incarne l’obscurité en nous, Superman est la lumière que nous n’atteignons jamais et vers laquelle nous tendons. Il est espoir, bonté, intangibilité, et c’est ce qui le rend si difficile à raconter.
Mais James Gunn s’y frotte malgré tout. Au lieu de nous faire découvrir petit à petit ce nouveau Superman, il nous jette sans prévenir au cœur du nouveau DC Universe, le DCU. Dans son monde, les « méta-humains » sont présents depuis des siècles et font partie du paysage. Superman est sur Terre depuis trente ans et vient de perdre son premier combat.
Pourquoi maintenant ? Contre qui ? Pas le temps de s’interroger. À peine l’homme d’acier retrouve-t-il la terre ferme qu’une nouvelle menace surgit. Et une autre, et encore une autre.
C’est comme si Gunn avait peur qu’on se désintéresse si tout ne va pas à mille à l’heure. Il nous propulse d’une séquence d’action à l’autre avant même que nous ayons saisi les nouvelles règles de ce DCU. Qui fait quoi, qui sont les gentils, qui sont les méchants, qu’est-ce qui doit nous émouvoir et qu’est-ce qui n’est que du remplissage.
L’approche n’est pas mauvaise, mais au lieu de se concentrer sur l’essentiel, Gunn y va avec ses gros sabots. Le nouveau Superman ne se contente pas de voler autour de Metropolis, il doit intervenir dès le début dans un conflit international entre deux nations fictives : le Jarhanpur et la Boravie. Les parallèles avec des événements réels sont ridiculement clichés, mais cela les rend génériques. Tellement génériques que toute réaction authentique tombe à plat.
À peine une scène terminée, la pièce suivante du puzzle de worldbuilding vient s’ajouter à ce château de cartes qui menace de s’effondrer au moindre souffle. Construire un nouveau monde sans trop d’exposition et avec du rythme, ça a du charme. Mais ici, tout semble précipité. C’est comme si on avait rassemblé des morceaux d’une série qu’on n’a jamais vue.
Ces morceaux incluent par exemple un Green Lantern, Hawkgirl, Krypto, des trous noirs, des univers de poche, des blops interdimensionnels, des kaijus, et un métamorphe avec un bébé vert. Ajoutez à tout ça Lex Luthor, tantôt stratège glacial, tantôt tech bro colérique, et tout ça dans les 60 premières minutes du film. Au beau milieu de ce fouillis se trouve Superman, incarné par un David Corenswet sympathique sans être particulièrement charismatique. En même temps, il n’a pas beaucoup d’occasions de se définir puisqu’il doit constamment sauver quelque chose ou quelqu’un ou se battre.
Plusieurs de ces passages devraient être captivants. Certaines scènes éblouissent, des idées isolées jaillissent de-ci, de-là, comme quand Lois Lane (formidablement interprétée par Rachel Brosnahan) demande une interview à Clark Kent, alias Superman. Cette rencontre anodine tourne rapidement au petit jeu de pouvoir, Lois cherche plus que des mots creux : elle veut savoir la part de calcul qui se cache derrière la façade apparemment lisse de Superman. L’espace d’un instant, le vernis moral de ce dernier commence effectivement à s’écailler. Superman apparaît enfin comme une personne, et non plus un symbole.
Mais ces moments s’évanouissent aussi vite qu’ils sont venus. Le film passe d’un élément à l’autre sans que rien ne se mette en place, et sans que Superman, le personnage le plus emblématique de tous, ne s’intègre jamais vraiment dans ce nouveau monde qui prend forme.
Et puis il y a Lex Luthor, la plus grosse épine dans mon pied pendant ce film. On dit qu’il est l’homme le plus intelligent du monde. Un tireur de ficelles, un stratège, un homme de l’ombre qui fait tomber des empires... C’est ainsi que nous le connaissons et c’est ce que nous voulons de lui.
Pourtant, il est à l’opposé de tout ça dans la version de James Gunn : agité, bruyant, surexcité. La plupart du temps, il aboie des ordres via un poste de commande high-tech, ou alors, il s’insurge contre Superman tel un utilisateur de Reddit de mauvais poil qui aurait des fantasmes de domination mondiale. Disparu le personnage au génie stoïque. Kevin Spacey l’avait par exemple interprété avec une retenue sadique dans Superman Returns. Dans Smallville, Michael Rosenbaum jouait sur son côté manipulateur contrôlé et insidieux.
Le Lex de Nicholas Hoult, quant à lui, donne l’impression de devoir constamment s’auto-convaincre qu’il est vraiment le plus intelligent. Son plan machiavélique ? Un mélange confus de propagande, de coup monté et de réarmement militaire. Au final, cela ne fonctionne que parce qu’une pièce capitale du puzzle lui tombe tout cuit dans la bouche : un secret sur Superman qui rend toute sa campagne soudain plausible.
C’est bien là qu’est le problème : sans cette coïncidence, le plan brillant de Luthor serait tout simplement tombé à l’eau. Le fait que « l’homme le plus intelligent du monde » n’ait pas fomenté lui-même son principal moyen de pression et l’ait obtenu un peu par hasard égratigne non seulement sa soi-disant supériorité, mais aussi le scénario.
Le personnage ne paraît pas dangereux, juste trop ambitieux. Le film rate l’occasion d’en faire le genre d’adversaire qui défie vraiment Superman, intellectuellement, moralement, idéologiquement. Au lieu de ça, Luthor reste un ennemi braillard dans un film bruyant. Quel ennui.
Ah, James Gunn... En tant que nouveau patron des studios DC, c’était à lui de décider qui poserait la première pierre du nouveau DCU et il s’est attribué cette mission. Il n’a jamais eu autant de contrôle créatif. Pas de vieille garde du studio, pas d’univers bien ficelé dans lequel s’inscrire et pas de Kevin Feige sur le dos. Et pourtant, ce film donne l’impression d’un réalisateur prisonnier de carcans.
Peut-être parce que les barrières étaient invisibles ? Parce qu’il s’agissait finalement d’attentes, celles des fans, du studio et surtout les siennes ? Gunn sait pertinemment que Superman n’est pas un projet niche comme Les Gardiens de la Galaxie ou Peacemaker. Superman n’est pas juste un personnage culte, c’est le symbole de tout un genre et c’est précisément ce qui semble avoir fait craquer Gunn.
En voulant être à la hauteur du mythe, il apparaît étrangement inhibé. Comme s’il n’avait pas le droit d’être le Gunn qui, dans The Suicide Squad, avait plongé au cœur du chaos entre têtes qui explosent, monstres à tentacules et losers tragico-comiques. À l’époque, il s’autorisait tout et avait créé quelque chose d’authentique en piochant dans les déchets de l’histoire cinématographique de DC.
Ici, en revanche, toute tentative de s’affranchir des limites semble réfrénée, toute rupture de tabou réprimée. La vision radicale cède la place à du divertissement, des sourires et des réparties inoffensives.
Pendant ce temps, ce Superman est aussi en lutte contre lui-même. Il se pose des questions d’appartenance, de responsabilité et d’intégrité morale. Mais elles apparaissent tard et disparaissent rapidement. Les scènes père-fils à la ferme des Kent, censées ancrer ce conflit dans l’émotionnel, semblent avoir été ajoutées après coup. Introduites trop tard, pas assez développées, pas assez méritées.
Même les origines de Superman, un élément crucial pour chaque itération de ce personnage, restent ici étrangement floues. À un moment, le film paraît même renverser le mythe avec une nouvelle lecture, une réinterprétation courageuse, mais au lieu de les explorer vraiment, Gunn les écarte étonnamment vite, comme s’il hésitait lui-même à franchir ce pas. C’est comme si Gunn s’était arrêté plusieurs fois en cours d’écriture pour se demander : est-ce que j’ai le droit de faire ça ? Est-ce ce que veulent les gens ?
Est-ce qu’ils accepteront cela de moi et de Superman ?
Et c’est bien le problème. Si James Gunn n’ose plus installer le malaise, il ne reste qu’un film divertissant mais vide d’émotion. En tout cas, il m’a laissé étrangement de marbre.
Au final, Superman n’est pas un mauvais film. Il est divertissant, drôle par moments, visuellement réussi et (c’est peut-être le plus important) enfin lumineux. Après la noirceur plombante des versions précédentes de Superman, ce film fait l’effet d’une bouffée d’oxygène. Il nous dit que l’espoir peut aussi être léger.
Un sentiment de malaise plane néanmoins sur le film. Pas parce qu’il serait objectivement mauvais, mais parce qu’on s’attendait à mieux de la part de James Gunn. Parce qu’il prend souvent des détours là où il devrait avoir le courage d’aller tout droit et parce que Gunn s’est mis des barrières que personne ne lui imposait.
Peut-être que j’avais aussi trop d’attentes. Des attentes que James Gunn a nourries par son travail jusqu’à présent. Superman n’est peut-être ni audacieux, ni convaincant, ni radical, mais il n’est pas non plus sans intérêt. Au milieu du vacarme, de brefs moments nous montrent de temps à autre ce que le film aurait pu être. S’il y a bien une chose que Superman n’est pas, c’est ennuyeux.
Vivre des aventures et faire du sport dans la nature et me pousser jusqu’à ce que les battements du cœur deviennent mon rythme – voilà ma zone de confort. Je profite aussi des moments de calme avec un bon livre sur des intrigues dangereuses et des assassins de roi. Parfois, je m’exalte de musiques de film durant plusieurs minutes. Cela est certainement dû à ma passion pour le cinéma. Ce que j’ai toujours voulu dire: «Je s’appelle Groot.»