Keystone / David Zalubowski
En coulisse

7 questions et réponses sur le procès de Meta

Samuel Buchmann
29/4/2025
Traduction: Aglaë Goubi

Depuis deux semaines, un procès historique contre Meta est en cours. Il s’agit de déterminer si Mark Zuckerberg a créé un monopole par des moyens déloyaux. Le procès est explosif tant sur le plan juridique que politique.

Mark Zuckerberg se bat pour son empire devant les tribunaux. La Commission fédérale du Commerce (Federal Trade Commission, FTC) des États-Unis veut démanteler son groupe, car Meta a créé un monopole sur les réseaux sociaux en abusant de son pouvoir de marché, c’est pourquoi le géant de la technologie devrait vendre Instagram et Whatsapp.

Le fait même que le procès ait lieu est une défaite pour Zuckerberg. Depuis des mois il flatte à Donald Trump (article en anglais), sans doute dans le but que celui-ci fasse disparaître la plainte, mais les avances de Zuckerberg semblent jusqu’à présent ne pas trouver d’écho favorable auprès du président. Cela pourrait toutefois s’avérer sans importance, car l’affaire repose sur des bases fragiles.

1. De quoi accuse-t-on Meta ?

La plainte de la FTC porte sur les acquisitions d’Instagram (2012) et de WhatsApp (2014) par Meta. Dans les deux cas, l’entreprise de Zuckerberg, qui s’appelait encore Facebook à l’époque, aurait délibérément empêché la concurrence du marché libre. C’est la raison pour laquelle Meta détient aujourd’hui un monopole, au détriment des consommatrices et consommateurs. Pour l’autorité de la concurrence, la scission d’Instagram et de Meta s’impose.

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Atteindre une position de monopole avec un bon produit n’est pas fondamentalement illégal aux États-Unis. Cependant, dès qu’une entreprise domine un secteur du marché, elle est soumise à des règles plus strictes. La loi Sherman interdit d’empêcher la concurrence par des méthodes déloyales, et c’est précisément ce que la FTC reproche à Meta.

2. Quel est le contexte politique ?

Bien que la FTC opère théoriquement indépendamment du gouvernement américain, c’est ce dernier qui en désigne le ou la présidente. Peu après son entrée en fonction, Donald Trump a limogé l’ancienne présidente Lina Khan et a nommé Andrew Ferguson à sa place. Concrètement, il peut donc exercer une pression sur l’autorité pour qu’elle poursuive plus sévèrement certaines affaires ou qu’elle les abandonne.

Ces derniers mois, Zuckerberg a donc tenté d’amadouer le président, notamment après la tentative d’assassinat de Trump, quand son élection semblait pratiquement acquise. Zuckerberg n’a certes jamais donné de recommandation de vote explicite, mais il a qualifié Trump de « badass » dans une interview. Après l’élection, il a fait don (en anglais) d’argent pour son investiture et lui a rendu visite à Mar-a-Lago (en anglais).

De plus, Meta a supprimé son équipe de fact-checking (vérification des faits), un revirement pour plaire à Trump. En 2020, Facebook et Instagram luttaient encore résolument contre la désinformation. Ils ont également supprimé (en anglais) des posts de Trump dans lesquels il affirmait que les enfants étaient immunisés contre le coronavirus. Après la prise du Capitole en janvier 2021, Meta a même fini par bloquer le compte du président parce qu’il avait appelé à la violence.

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Depuis lors, Trump n’est plus en bons termes avec Zuckerberg. Il l’a vivement critiqué et a affirmé que Meta avait influencé l’élection de 2020. Dans un livre, il a même menacé le PDG de Meta d’une peine de prison à vie (en allemand). Trump semble être immunisé contre l’offensive de charme de Zuckerberg. En tout cas, il n’est pas encore intervenu dans le procès de Meta.

3. Depuis combien de temps cette plainte est-elle en cours ?

Initialement, la plainte a été déposée pendant le mandat de Donald Trump en décembre 2020. En juin 2021, un tribunal a rejeté l’acte d’accusation au motif qu’il était mal rédigé et n’apportait aucune preuve du prétendu monopole de Meta, un constat d’échec pour le président de la FTC de l’époque, Joseph Simons. Le tribunal a toutefois laissé la porte entrouverte. En effet, il n’a rejeté que l’acte d’accusation et non l’affaire en elle-même.

La présidente de la FTC de Joe Biden, Lina Khan, a révisé l’acte d’accusation et a réussi à relancer l’affaire en août 2021. À deux reprises, Meta a demandé que l’affaire soit à nouveau rejetée. Par deux fois, le tribunal a rejeté la demande. Les avocats de Meta ont certes réussi à retarder le procès jusqu’après l’élection de Trump, mais le nouveau président de la FTC, Andrew Ferguson, ne fait pas non plus de quartier : le 14 avril 2025, le procès a débuté et Mark Zuckerberg a dû se présenter au District Court of Columbia.

4. Quel est le raisonnement de la FTC ?

Selon la FTC, Meta a acheté Instagram et WhatsApp de manière ciblée afin d’empêcher la concurrence. Ce faisant, l’entreprise nuit indirectement aux consommateurs. En effet, en l’absence de concurrence, Meta n’est pas obligé d’optimiser ses services au maximum.

Il vaut mieux acheter que de faire concurrence
Mark Zuckerberg en 2008 dans un e-mail

Pour la première partie de l’accusation, la FTC présente de nombreux éléments de preuve. Il s’agit notamment d’e-mails de Mark Zuckerberg (en anglais), dans lesquels il révèle sa stratégie commerciale. Le PDG de Meta a par exemple écrit : « Il vaut mieux acheter que de faire concurrence ». Et en référence à l’acquisition d’Instagram : « Ce que nous achetons vraiment, c’est du temps ».

La deuxième partie de la plainte est plus difficile à prouver. La FTC doit créer un monde imaginaire dans lequel Facebook n’aurait pas acheté les autres plateformes. Selon elle, un tel monde offrirait des services de réseaux sociaux plus nombreux et de meilleure qualité qu’aujourd’hui. Pour que ce raisonnement tienne la route à l’ère de TikTok, X et YouTube Shorts, la FTC définit le marché comme celui des « réseaux sociaux personnels ». Aux yeux de l’autorité, seuls Facebook, Instagram, WhatsApp, Snapchat et MeWe opèrent dans ce domaine.

5. Quels sont les contre-arguments de Meta ?

Zuckerberg et ses avocats font valoir qu’Instagram et WhatsApp n’ont connu un tel succès que grâce à l’aide de Meta. Des documents internes montrent qu’Instagram ne comptait que dix millions d’utilisateurs lors de son rachat. Aujourd’hui, ce chiffre s’élève à deux milliards. Meta affirme qu’il n’y a pas eu de préjudice pour les consommateurs. Au contraire, les plateformes se seraient même améliorées suite à l’acquisition.

Mark Zuckerberg estime que sa société a amélioré Instagram.
Mark Zuckerberg estime que sa société a amélioré Instagram.
Source : Shutterstock

En outre, Meta se défend contre les accusations de monopole. Selon les avocats, Facebook et Instagram doivent s’imposer sur un marché controversé qui comprend également TikTok, X, YouTube et iMessage. Pour le prouver, ils ont notamment présenté des statistiques internes : lorsque TikTok a été temporairement mis hors ligne aux États-Unis en janvier, le nombre d’utilisateurs sur Facebook et Instagram a explosé.

6. Quelles sont les chances de réussite de cette action en justice ?

La plupart des experts donnent peu de chances à cette plainte. Il semble certes plausible que Mark Zuckerberg ait délibérément voulu empêcher la concurrence, mais la définition du marché de la FTC est tirée par les cheveux. Il est difficile d’argumenter que TikTok, X et YouTube ne sont pas aujourd’hui des concurrents directs de Facebook et Instagram, ce qui ferait s’effondrer l’accusation de monopole. De plus, le préjudice subi par les consommateurs en raison de l’absence de concurrence ne peut être argumenté que de manière hypothétique.

La véritable puissance commerciale de Meta réside dans l’effet de réseau : si vous utilisez un produit, Mark Zuckerberg vous enfonce inexorablement tous les autres dans la gorge. Cela a fonctionné pour Instagram lorsqu’il a été racheté par Facebook. Aujourd’hui, Meta répète le principe avec le service de messages courts Threads, pour lequel on reçoit également des notifications non sollicitées sur Instagram. Et le chatbot interne Llama est alimenté par les contenus personnels accumulés sur toutes les plateformes. Mais tout cela ne fait pas l’objet de la présente plainte.

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Un autre élément qui mine la crédibilité de la FTC est le suivant : c’est elle-même qui a approuvé les rachats d’Instagram et de WhatsApp en 2012 et 2014. Il semble hypocrite que la même autorité s’en plaigne dix ans plus tard. Un jugement contre Meta remettrait fondamentalement en question la sécurité juridique de telles acquisitions.

Pour l’heure, la FTC joue une main perdante. Mais finalement, la décision pourrait aussi dépendre de facteurs politiques : si Mark Zuckerberg gagne les faveurs de Donald Trump, l’affaire pourrait bien se dissoudre rapidement. Si la FTC parvient à présenter le monopole de Meta comme une menace pour la liberté d’expression, le président républicain fera rôtir le groupe technologique devant les tribunaux.

Donald Trump a beaucoup de pouvoir sur la FTC, mais jusqu’à présent, il est resté en dehors du procès Meta.
Donald Trump a beaucoup de pouvoir sur la FTC, mais jusqu’à présent, il est resté en dehors du procès Meta.
Source : Shutterstock / Joshua Sukoff

7. Quelle est la prochaine étape ?

Le procès devant la Cour fédérale de district de Columbia durera encore quelques semaines. Un jugement n’est pas attendu avant l’été. Outre Mark Zuckerberg, l’ancienne directrice des opérations de Meta, Sheryl Sandberg, et le cofondateur d’Instagram, Kevin Syström, ont déjà témoigné devant le tribunal. Par la suite, le cofondateur de WhatsApp, Brian Acton, prendra également la parole.

Si la FTC gagne l’affaire, le tribunal devra ensuite décider des conséquences. Le recours juridique en question commence cette semaine (en anglais) notamment contre Google pour son monopole sur les moteurs de recherche. Meta pourrait être contraint de vendre Instagram et WhatsApp. Il est toutefois probable que la partie perdante fasse appel du jugement. L’affaire devrait donc traîner sur plusieurs années.

Photo d’en-tête : Keystone / David Zalubowski

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Mon empreinte digitale change régulièrement au point que mon MacBook ne la reconnaît plus. Pourquoi ? Lorsque je ne suis pas assis devant un écran ou en train de prendre des photos, je suis probablement accroché du bout des doigts au beau milieu d'une paroi rocheuse. 

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