

Impression de déjà-vu : la comédie grotesque du Black Friday
Le Black Friday est peut-être pour vous un moment fort de l’année, mais pas pour moi. Pourquoi ? Aujourd’hui, vous n’avez plus besoin de courir après des bonnes affaires qui, de toute façon, ne sont pas si exceptionnelles que ça.
Le Black Friday c’est pour moi un éternel recommencement. Vous savez, Bill Murray dans le rôle du météorologue cynique dans le film Un jour sans fin. Chaque année, sa chaîne de télévision l’envoie à Punxsutawney pour rendre compte de l’ombre projetée par une marmotte et donc des prévisions météorologiques pour l’été. Piégé dans une boucle temporelle provoquée par une tempête de neige, il revit la même journée encore et encore.
Cela fait maintenant cinq ans que je suis le reporter interne désigné pour couvrir la semaine Black Friday. Chaque année, j’assume cette mission de communication (hum) et m’attelle à la tâche avec autant d’entrain et de motivation qu’au premier jour (hum hum), tantôt avec des articles pédagogiques et explicatifs, tantôt avec la présentation de figurines absurdes de dinosaures du Black Friday. Bien sûr, l’article obligatoire contenant les informations les plus importantes sur la semaine Black Friday ne manquera pas cette année non plus, on l’adapte toujours un peu afin d’attirer celles et ceux qui tapent désespérément « Black Friday Galaxus » dans Google.
Si vous faites partie de ces personnes et que vous ne voulez manquer aucune offre, j’ai un conseil de pro : cette année, vous pouvez configurer une alerte push dans l’application afin d’être immédiatement informé dès qu’il y a de nouvelles offres. Immédiatement ! Ne manquez plus rien !! Génial !!!
Oups pardon, je suis encore tombé par inadvertance dans le mode « aide et explication » qui se déclenche automatiquement. Ce n’était pas mon intention.
Le Black Friday, sachez-le, c’est le dilemme du prisonnier du commerce de détail. Presque aucune entreprise n’attend cet événement shopping avec impatience. En effet, cela entraîne surtout des coûts plus élevés, car il faut négocier des offres et stabiliser les sites Internet pour faire face à l’augmentation du trafic. De plus, les prix réduits font généralement baisser la marge bénéficiaire.
Si toutes les boutiques en ligne et tous les détaillants renonçaient au Black Friday, nous, consommateurs, pourrions cesser de consommer et enfin vider nos caves et greniers des produits que nous avons déjà mais que nous n’utilisons jamais, pendant que les employés des boutiques en ligne auraient du temps pour découvrir de nouveaux loisirs, comme, je ne sais pas... L’apprentissage du pain au levain par exemple ! Évidemment, ce genre de révolte contre la consommation à tout-va pour retourner à l’essentiel ne fonctionnerait que si tout les commerçants suivaient le mouvement, sinon, les uns profiteraient de la modération des autres. Même si toutes ces réductions ne génèrent pratiquement plus de bénéfices, tout le monde continue à jouer le jeu du Black Friday.
Mais alors, pourquoi ? Parce que les réductions déclenchent chez nous, êtres humains, une sorte de court-circuit dans le cerveau et désactivent notre raison (en allemand). Les petits panneaux rouges indiquant les réductions nous empêchent de nous demander si nous avons vraiment besoin de tel ou tel objet. Pour que vous ne réfléchissiez pas, on vous rappelle que les quantités sont limitées et que l’offre est valable pour une durée également limitée. Le cerveau se met pour ainsi dire mis en mode chasse.
Seulement prétendument rationnel
Vous, oui, je parle de vous, vous êtes bien sûr différent. Vous êtes comme moi. Nous ne nous laissons pas prendre au piège. Nous avons un plan. Nous savons exactement ce que nous voulons, et nous espérons pouvoir acheter le produit de notre choix à un prix avantageux lors du Black Friday. Tout comme Phil, le présentateur météo, qui espère chaque soir se réveiller le lendemain matin et vivre une nouvelle journée plutôt que de revivre la même, nous sommes prêts, nous avons ajouté le produit à notre liste de souhaits, activé les alertes e-mail auprès du comparateur de prix ou, par mesure de sécurité, déjà ajouté le produit à notre panier. Prêts à bondir dès que le message magique annonçant la baisse de prix arrivera. Si jamais. Ou juste au cas où.
C’est un peu comme si on jouait au loto. Il faut avoir un peu de chance pour que le produit de vos rêves figure sur la fameuse liste du Black Friday. Si c’est le cas, vous économiserez probablement moins d’argent que vous ne le pensez. Les entreprises et les boutiques en ligne ne proposent pas des offres Black Friday par charité ou par amour pour leurs clients. Rien n’est gratuit.
Depuis quand Galaxus est-elle une association caritative ?
Les marges sont particulièrement faibles pour les produits électroniques. Dans de nombreux cas, une remise de 20 % signifie que le commerçant ne réalise plus aucun bénéfice. Les remises plus importantes ne concernent souvent que les modèles de l’année précédente ou en fin de série qui doivent être écoulés de toute urgence. Dans ce cas, le prix baisserait de toute façon avec le temps. Chez Digitec et Galaxus, l’évolution des prix de chaque produit est transparente depuis 2021 (en allemand). Chacun peut d’ailleurs y trouver la réponse s’il souhaite savoir si les prix ont été artificiellement gonflés avant la semaine Black Friday. Spoiler : non, ils ne l’ont pas été.
De toute façon, les fabricants et les distributeurs n’ont pas besoin du Black Friday pour vendre leurs produits actuels et très convoités. Il y a d’ailleurs des soldes tout au long de l’année : offres du jour, soldes d’été, soldes d’hiver, offre d’une montre gratuite, 10 % de remise, enchères hollandaises, etc. On se croirait chez un détaillant de mode éphémère et ses super soldes de pré-mi-saison, où je peux obtenir une remise supplémentaire en tournant la roue de la fortune. Ou encore les abonnements mobile : le Black Friday sert à me vendre un abonnement bon marché, qui sera ensuite augmenté au « prix normal » après douze mois.
Libérez-vous !
Il existe pourtant de nombreuses façons de se procurer des sensations fortes dans la vie. Personnellement, je recommanderais le sport. Le sport et le shopping procurent tous deux une montée d'adrénaline souvent suivie d’un contrecoup, mais celui qui suit le sport est plus sain à long terme et passe rapidement. En revanche, le produit que vous vouliez absolument avoir et que vous avez acheté lors du Black Friday restera éternellement dans votre placard avant que vous ne vous en débarrassiez d’une manière ou d’une autre pour quelques francs.
Mettez fin au stress du Black Friday ! Vous pouvez le faire. Et restez ensuite aussi détendu que cet utilisateur.
Je n’ai pas besoin de grosses réductions. Le prix net doit être correct.
Plus il y aura de gens qui pensent comme lui, plus vite le Black Friday deviendra, espérons-le, un modèle dépassé, et je pourrai enfin me libérer de ma prison personnelle. Car dans le film aussi (attention, spoiler !) Phil Connors ne peut sortir de la boucle répétitive du Groundhog Days qu’après avoir vaincu son ancien ego et être devenu une personne véritablement bonne.
Maintenant, c’est à vous ! Que pensez-vous du Black Friday ? Est-ce pour vous une fête du shopping ? Qu’est-ce qui vous attire, qu’est-ce qui vous laisse indifférent ? Ou bien vous intéressez-vous à la science qui se cache derrière ce type de vente ? Dans ce cas, j’ai trois suggestions de lecture à vous proposer.



Die Gesetze der menschlichen Natur - The Laws of Human Nature
Allemand, Robert Greene, 2019
Je suis journaliste depuis 1997. Stationné en Franconie, au bord du lac de Constance, à Obwald, Nidwald et Zurich. Père de famille depuis 2014. Expert en organisation rédactionnelle et motivation. Les thèmes abordés ? La durabilité, les outils de télétravail, les belles choses pour la maison, les jouets créatifs et les articles de sport.
Des informations intéressantes sur le monde des produits, un aperçu des coulisses des fabricants et des portraits de personnalités intéressantes.
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